mardi 3 septembre 2024

"Mais vous allez un jour laissez les curés tranquilles"

 

Le père Robert M. ne se souvient pas très bien d’où venait la voix au bout du fil, «peut-être de Brest». Un homme qu’il avait marié cinq ans plus tôt était désespéré. Après la mort de son épouse dans un accident, il n’avait plus rien, même pas assez d’argent pour payer la caution de son appartement. Le nom ne disait rien à Robert M. mais étant prêtre référent pour plusieurs paroisses du Sud de la France, il en avait vu passer des amoureux. Quelques minutes plus tard, nouvel appel. «Cette fois, c’était la gendarmerie de je-ne-sais-où, raconte-t-il à Libé. Quelqu’un m’a dit : “Il faudrait que vous aidiez ce monsieur.” Comme j’étais naïf, j’ai donné 600 euros par carte bleue pour le dépanner. Le procès va avoir lieu bientôt. J’ai rempli un papier pour dire que je ne serai pas là. J’ai 80 ans, je vais pas faire 400 bornes.» Quelques mois plus tard, en février 2024, le père Pascal B. a été brusquement tiré de sa sieste par un coup de téléphone. Une gendarme lui proposait une mission. Une sacrée mission même : alpaguer un détrousseur de curés qui faisait des ravages dans la Manche. Soucieux de rendre service, Pascal B. a suivi les instructions. Il est allé au bureau de tabac pour retirer deux coupons PCS (des sortes de cartes bancaires rechargeables) de 500 euros et les a envoyés à l’enquêteur. Ce dernier a rappelé. Il fallait 450 euros de plus. Cette fois, le prêtre a tiqué et a prévenu la gendarmerie, la vraie.

En tout, entre 2020 et 2024, 62 curés plutôt âgés (ils avaient entre 69 et 94 ans) ont été dépouillés de la même manière. Le butin est rondelet : 440 000 euros. Désigné comme la voix du téléphone, Kévin Gosse, 35 ans comparaîtra le 5 septembre devant le tribunal correctionnel du Havre pour «escroquerie en bande organisée» et «recel d’escroquerie». A ses côtés, sept de ses proches sont accusés d’avoir joué les petites mains en faisant transiter l’argent sur leurs comptes. A partir de documents judiciaires et de témoignages, Libé retrace la saga des détrousseurs de prêtres, une arnaque à la charité qui court sur plusieurs décennies et plusieurs générations.

🔎 L'enquête de Julie Brafman est à lire en intégralité dans l'appli Libé

✏ @jonathanblezard

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