Je suis partie sans même te dire au revoir. J’ignore comment te joindre. Tu n’as pas WhatsApp et te contacter sur ta ligne téléphonique est devenu trop risqué (son prénom a été modifié pour des raisons de sécurité). Tout est allé si vite, depuis cet appel d’un numéro inconnu, le 31 mars au matin… Ça me semble être hier. « Je suis lieutenant de police à la direction de la sûreté de l’Etat, m’a prévenu un homme. On aimerait vous poser quelques questions. Je ne peux pas vous en parler. Venez, on vous expliquera. »
Me voici bientôt dans un bureau éclairé d’un néon blanc, dans les locaux de la direction générale de la police nationale burkinabée. Le lieutenant porte un boubou coloré, sans insigne. Il a le visage fermé. Moi aussi. Je pense à toi, à ta famille, à ce pays que je ne veux pas quitter. Il m’interroge sur mon travail, mes déplacements, mes reportages. J’élude. Ça l’agace. Il gribouille sur son bloc-notes ; et puis, au bout d’une heure, se lève pour me conduire vers la sortie. En repartant sur ma moto, au cœur des embouteillages de Ouaga, j’entends encore ses derniers mots : « J’en prends acte. »
La journée n’est pas finie. A 21 heures, j’apprends que le même officier est passé chez ma consœur de Libération, Agnès Faivre. « J’ai vingt-quatre heures pour quitter le territoire », me dit-elle. Cette nuit-là, je guetterai la sonnerie de mon téléphone. Les heures passeront sans le moindre appel.
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La correspondante du « Monde » au Burkina Faso a été expulsée, début avril, par les militaires au pouvoir. Dans ce texte très personnel, adressé à un ami resté à Ouagadougou, elle évoque la situation de ce pays d’Afrique de l’Ouest où, sous prétexte d’opérations contre les djihadistes, des massacres sont commis.
Photo : Retour des femmes de la brousse après une longue journée de travail, au Burkina Faso, le 15 février 2022. CISSÉ #pourlemonde
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