samedi 22 avril 2023

Sophie Douce expulsée du Burkina Faso

 


Amadou, j’ai honte. 

Je suis partie sans même te dire au revoir. J’ignore comment te joindre. Tu n’as pas WhatsApp et te contacter sur ta ligne téléphonique est devenu trop risqué (son prénom a été modifié pour des raisons de sécurité). Tout est allé si vite, depuis cet appel d’un numéro inconnu, le 31 mars au matin… Ça me semble être hier. « Je suis lieutenant de police à la direction de la sûreté de l’Etat, m’a prévenu un homme. On aimerait vous poser quelques questions. Je ne peux pas vous en parler. Venez, on vous expliquera. »

Me voici bientôt dans un bureau éclairé d’un néon blanc, dans les locaux de la direction générale de la police nationale burkinabée. Le lieutenant porte un boubou coloré, sans insigne. Il a le visage fermé. Moi aussi. Je pense à toi, à ta famille, à ce pays que je ne veux pas quitter. Il m’interroge sur mon travail, mes déplacements, mes reportages. J’élude. Ça l’agace. Il gribouille sur son bloc-notes ; et puis, au bout d’une heure, se lève pour me conduire vers la sortie. En repartant sur ma moto, au cœur des embouteillages de Ouaga, j’entends encore ses derniers mots : « J’en prends acte. »

La journée n’est pas finie. A 21 heures, j’apprends que le même officier est passé chez ma consœur de Libération, Agnès Faivre. « J’ai vingt-quatre heures pour quitter le territoire », me dit-elle. Cette nuit-là, je guetterai la sonnerie de mon téléphone. Les heures passeront sans le moindre appel.
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La correspondante du « Monde » au Burkina Faso a été expulsée, début avril, par les militaires au pouvoir. Dans ce texte très personnel, adressé à un ami resté à Ouagadougou, elle évoque la situation de ce pays d’Afrique de l’Ouest où, sous prétexte d’opérations contre les djihadistes, des massacres sont commis.

Photo : Retour des femmes de la brousse après une longue journée de travail, au Burkina Faso, le 15 février 2022. CISSÉ #pourlemonde

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